INTERVIEW LAURENT PAGANELLI


"C'est une sensation à part comme ville. Un peu comme une drogue."


En cette veille de Noël, notre 61ème invité nous offre un véritable cadeau en nous ayant accordé un petit entretien.

Adolescent Star du foot français, Rolland ne manquera pas d'arguments pour recruter ce joueur de grande classe au bord de la plus belle rade d'Europe. Son tempérament chaud, bouillant et démonstratif de sudiste collera à la perfection à l'image que Courbis voulait de son équipe. Il sera resté cinq saisons chez nous et quittera la cité de Raimu avec le statut de Toulonnais "à part entière". Profondément et sincèrement aimé des supporters azur et or, aujourd'hui, c'est avec Monsieur Laurent Paganelli que le musée vous propose de passer un moment.


LAURENT, POURQUOI AVOIR CHOISI LE SPORTING ?

Déjà, et il faut le dire, parce que St Etienne ne me gardait pas. Il fallait prendre une décision. J'ai eu des contacts avec Nantes, Lille entre autres, mais les deux qui m'ont téléphoné de suite, sont Guy Roux pour Auxerre et Rolland pour Toulon. Guy Roux a fait prévaloir le côté sportif : "tu viens en avion, tu signes et dans 3 semaines, tu es international". Rolland, lui m'a dit : "On a besoin de toi, tu es le meilleur". Il a été très flatteur. Il a fait du Rolland quoi (rire)... Je n'ai pas hésité longtemps, même si entre jouer les premiers rôles avec Auxerre et jouer le maintien avec le Sporting, on ne joue pas de la même façon. J'avais 21/22 ans et j'avais envie aussi de retrouver le sud et ses odeurs. On aurait pu être surpris de mon choix. Mais c'était un challenge, çà pouvait paraître osé, mais Toulon retrouvait un club. Non, je n'ai pas hésité. Je suis descendu voir et quand je suis arrivé à Bandol, je me suis arrêté téléphoner à ma femme dans une cabine et je lui ai dit : "on va à Toulon, on va rester ici."


QUEL JOUEUR DU SPORTING T'A LE PLUS MARQUÉ ?

Il y en a plusieurs. Mais celui qui m'as le plus marqué, c'est Délio. Quand il est arrivé, on pensait qu'il était cuit, et la première année, il met plus de 20 buts. Dans son rôle à lui, c'était quelqu'un. Pascal Olmeta aussi : particulier, incroyable dans ses buts. Il y en a eu plein: Pardo, Rolland, Caso, Roger Mendy, Emon, Dalger, Alfano, Berenguier, Alain Bénédet avec qui j'ai encore des contacts, Zahoui, Chaussin, N'Kouka. En fait, je pourrais citer tout le monde. C'était un groupe plus que des individualités. À un moment donné, ils m'ont tous marqué. Rolland, quand même. J'ai joué avec lui et il a été aussi mon entraîneur. Et puis sans Rolland, le sporting que l'on a connu n'aurais jamais existé. C'est clair et net. J'insiste là-dessus. On a tous adhéré au fonctionnement, et quand ils ont mis Rolland en prison, on aurait pu tous y aller aussi. Et le pire, c'est que personne ne s'est enrichi. On n'avait pas des salaires exorbitants. On a tous accepté, car on voulait tous que le club vive. Et puis, il n'y avait pas qu'à Toulon que çà fonctionnait comme çà.


UN SOUVENIR, UNE ANECDOTE SUR TON PASSAGE A TOULON ? 

La première anecdote, c'est quand j'arrive au premier entraînement au sporting. Je ne connaissais pas l'entraîneur. Je savais que c'était Monsieur Duval, un gars d'un certain âge. Et là, je vois un mec au bord du terrain, j'arrive avec mon sac et je me présente. Il me répond : "c'est pas moi l'entraîneur, je suis le journaliste de Var Matin, il est là-bas"... Il y a aussi celle du club Med. On se sauve à la dernière journée et on décide, pour fêter çà, de partir en douce au club Med aux Baléares. Personne n'était au courant, même pas les femmes. On sortait tous les soirs, et là Rolland envoyait au club des résumés de matchs du genre que l'on jouait contre Séville et que l'on avait gagné 3 à 1. Je n'ai jamais autant marqué de buts que lors de ces matchs-là (rire). Rolland n'a jamais mis ni le Réal, ni le Barça, çà aurait été trop gros quand même. Le pire, c'est que le lendemain matin Var Matin publiait les comptes-rendus des matchs... Un soir, là-bas ils avaient attaché les serveurs du club Med dans une pièce à côté et on s'était servi. Ils l'avaient mal pris. Je crois même que le club avait interdit de club Med pendant 10 ou 15 ans. C'était çà Toulon ! Un vrai football avec des valeurs de camaraderies, d'entraide.

Il y avait aussi les "feuilles de route" lors des retours de déplacements. Celle directe, qui te faisait rentrer à Toulon vers 2 h du mat, normal. Et celle qui te faisait rentrer à 9/10h... Après les boîtes de nuit. Rolland te disait : "alors, laquelle tu choisis "?

Il y a aussi celle-là tiens. On reçoit Lille dans un match capital pour le maintien. J'arrive dans le vestiaire, j'ouvre mon sac, et là, catastrophe: pas de crampons. Je fais le tour des mecs, personne qui avait une autre paire à me prêter, sauf un : Philippe Col. Il me sort la paire de chaussures, c'était du 41 et moi,  je chausse du 38. Et en plus, elles étaient presque coupées en deux en dessous. Et tu sais quoi ? Ce soir-là, je marque 2 fois. Deux lunettes, une à droite et une à gauche et j'aurais pu même faire un triplé si Délio me laisse tirer le pénalty... Il n'y a qu'à Toulon que tu pouvais vivre çà. Si cela m'était arrivé à St Etienne, un mec serait arrivé avec des godasses à ma pointure et m'aurait même vissé les crampons (rire).


UN MATCH EN PARTICULIER ?

Les quarts et demis de Coupe contre Lens et Monaco.

On gagne 1/0 à Lens au match aller. À Toulon, ils mènent 1/0. Prolongations : 2/0 pour eux. À 4 minutes de la fin, je marque sur pénalty 2/1. Marcel Dib ne savait plus si cela suffisait pour se qualifier (rire). Et dans les arrêts de jeu, je frappe un coup franc et Chaussin met un but de fou : 2/2 ! Le public envahit le stade et le match s'arrête-là. On attend et on se dit que c'est pas possible que l'arbitre arrête le match comme çà. On n'est pas allé au bout des arrêts de jeu et il  n'a même pas sifflé la fin du match. Mais non, il stoppe le jeu et on se qualifie. On faisait corps avec le public, on était lié à lui. On a jamais  dissocié le public de nos performances. Dans les bons comme dans les mauvais moments. On vivait pour le public. On était des héros quand on gagnait et il nous bougeait quand on perdait. Quand je suis parti de St Etienne pour le Sporting, je n'ai pas vu de différence dans la ferveur. Le public se ressemblait sur la passion et l'engouement. Mais à Toulon, il y avait un truc en plus inexplicable: c'était un public du sud.

Bref, il y a aussi la demi contre Monaco. On perd 3/1 là-bas et au retour, Rolland laisse pousser la pelouse vachement haute et met Alfano avant-centre. On mène 2/0 à la mi-temps et ce qui les sauve c'est les 15 minutes de pause de la mi-temps. Ils nous ont dit après le match que leur entraîneur les avait replacés, sinon, ils en prenaient 5/6. Je pense même que si on passe là, on la gagne cette coupe. Il y a aussi ce fameux 5/1 contre le Psg. J'ai beaucoup de matchs référence. Il y a eu beaucoup de belles performances. Tiens: Bordeaux, le Psg et Toulouse venaient à Toulon invaincus durant 20 matchs et on a battu les 3. Trois fois 1/0. On était capable de ne pas se concentrer sur 3 matchs et sur le quatrième d'éclater n'importe qui ! Je vais même te dire, certains matchs, en rentrant sur le terrain, on savait qu'on allait gagner, que rien ne pouvait nous arriver.

Et puis la victoire 3/2 à Marseille. Le week-end d'avant, on se fait sortir par les amateurs d'Évry en coupe. Pourtant, Rolland était allé voir des sorciers, je te jure. On avait joué avec des cailloux dans les chaussures, avec des gris-gris (rire), et c'est vrai. Et on perd et les mecs venaient presque s'excuser de nous avoir battu. Trois jours après, on bat Marseille chez eux. On avait dit à Rolland : "tu vois, finalement, tes cailloux, ils font effet 3 jours après" (rire).


EN QUELQUES MOTS, SI TU DEVAIS RÉSUMER TON AVENTURE TOULONNAISE?

C'est une histoire de vie entre personnes qui arrivaient d'horizons différents et qui se sont comprises. Ça a suffi. On s'est aimé. Un amour tactile, humain, de compagnons. Inoubliable. Tous les gens que j'ai rencontré là-bas sont encore importants pour moi. Et quand j'ai besoin de "réfléchir" parfois, ou de me "recentrer", je pense à ce que j'ai vécu au sporting, à Toulon. C'est un moment fabuleux de ma vie. Mon enfant est né à Toulon et je suis très fier de çà. J'ai été formé à Avignon et j'ai joué dans un grand St Étienne... Mais tu vois, c'est drôle, je me sens Toulonnais. Je ne peux pas dire mieux. C'est une sensation à part comme ville... Un peu comme une drogue ! 


QUE DEVIENS-TU ?

Je suis consultant télé pour Canal. Cela fait 25 ans. Je fais ce que j'aime comme je l'aime. C'est une grande partie de ma vie, Canal aussi. Je suis fidèle à eux, comme ils le sont à moi... Et je passe également beaucoup de temps avec ma femme, en famille.


LAURENT ET LE SPORTING :

Attaquant.

1983/1984: 38 matchs. 5 buts.

1984/1985: 18 matchs. 3 buts.

1985/1986: 17 matchs. 2 buts.

1986/1987: 20 matchs. 3 buts.

1987/1988: 17 matchs. 6 buts.