INTERVIEW ERIC VICENT


"C'était comme ça à Toulon, et pas autrement."

 

Nul doute que le joueur qui nous a accordé un moment aujourd'hui aura grandement aidé à créer et entretenir cette fameuse réputation de "bad boys" Toulonnais. Réputation qui aura fait la fierté du peuple azur et or pendant pratiquement une décennie. Estampillé "défenseur made in Toulon", il laissera une trace indélébile dans le coeur des supporters de la rascasse tant son abnégation n'avait d'égale que son courage. C'est donc "le Gaulois", (surnom qu'il doit à Maurice Arreckx), que le musée reçoit aujourd'hui. Monsieur Eric Vicent.


ERIC, POURQUOI AVOIR CHOISI LE SPORTING ? 

J'ai commencé à jouer au foot à Fontaines-sur-Saône près de Lyon en minime, puis en juniors à Lyon avec des gens comme Bernard Lacombe. Et puis je ne sais pas exactement comment cela s'est passé, mais des gens de Toulon m'ont vu jouer et comme à l'époque, c'était difficile de joueur en équipe première à Lyon avec les Di Nallo, Combin et autres, et je suis arrivé au sporting en juin 1970 pour jouer en juniors. J'ai joué mon premier match en décembre 70 ou janvier 71 et quand je suis arrivé au Toulon, je jouais attaquant. J'ai fait quelques matchs avec l'équipe une et j'ai signé semi-professionnel et parallèlement, je travaillais aux chantiers à La Seyne. J'ai signé mon premier contrat pro en 1972. Un jour, notre défenseur Miguel Valls se blesse gravement (il se fracture la jambe), et Marcel Duval vient me voir et me dit : " Eric, comme tu es vaillant, je vais t'essayer arrière gauche, mais à une condition, c'est que tu ne passes la pas la ligne centrale". Mais comme c'était plus fort que moi, il fallait que je monte. Et dans la saison, j'ai dû mettre une dizaine de buts. Par contre, comme défendre, à l'origine ce n'était pas mon métier, j'étais super-mal placé. Alors, quand j'arrivais sur mon attaquant avec la vitesse que j'avais, le mec, il partait dans la tribune ! Je ne faisais pas ça par méchanceté, mais par faute de placement. Mais c'est vrai qu'après, j'ai entretenu ça. Les mecs d'en face me traitaient de tout, de boucher, etc. J'ai cultivé ça, de façon que mon ailier " se chie dessus" et qu'en rentrant sur le terrain, il perdait déjà de sa vitalité, de son influx nerveux. On avait une défense solide avec Bernard Simondi, Michel Legros , Alain Larderey et puis moi. Marc Duval dans les buts a toujours dit : "moi, je joue derrière tranquille, parce que je ne ramasse que les miettes". Toulon, ça a été de tout temps, une équipe agressive, vaillante. Les mecs qui arrivaient pour jouer à Toulon, s'ils ne se mettaient pas dans la mentalité toulonnaise, ils ne rentraient pas dans le cadre. Et c'est pour ça, que l'on est resté 2/3 ans sans perdre un match à Bon Rencontre.


QUEL JOUEUR DU SPORTING T'A LE PLUS MARQUÉ ?

Il y en a beaucoup qui m'ont marqué, à des degrés différents. Quand je suis arrivé, il y avait une équipe de jeunes entourés de quelques anciens. Jean-Pierre Alba, Bernard Bertoli. En 71, il est arrivé : Paul Orsatti, Robert Dewilder, Rober Peri, Balekita, André Guy. Mais si on associe le joueur et l'homme : il y a Paul Orsatti et Jean-Pierre Alba, les mecs te conseillaient. Marcel Duval, était un très grand meneur d'hommes, et aux niveaux tactiques et techniques, ces deux-là reprenaient bien le relai. Après, j'ai passé des super-moments avec Simondi, Tigana, Iddir et les autres.


UN SOUVENIR, UNE ANECDOTE SUR TON PASSAGE À TOULON ?

Quand on jouait à Bon Rencontre, il y avait des voitures du supermarché Casino jusqu'au cimetière, sur les deux trottoirs et au milieu de la route il y avait deux files de voitures. Les joueurs adverses descendaient du bus devant la porte principale de Bon Rencontre et traversaient tout le public pour aller aux vestiaires et là, c'était déjà chaud pour eux. Ils se faisaient déjà bouger et après, ça continuait dans le tunnel où je fixais du regard mon attaquant et ça finissait sur le terrain. C'était comme ça à Toulon et pas autrement !

Et puis, un jour on va jouer à Albi et Marcel Duval me demande d'aller demander à l'avant-centre de là-bas, s'il ne voulait pas venir faire un essai chez nous, il le trouvait pas mal. Le gars n'a pas de voiture, mais il vient avec un collègue à lui à Toulon. Marcel Duval regarde le mec qui l'accompagne et lui dit : "tu sais jouer au football, toi ? ". "Oui" lui répond le type. "Il nous manque un joueur pour faire l'opposition, on va te trouver une paire de godasses". Le mec joue et à l'arrivée, on ne prend pas l'avant-centre, on prend son chauffeur. Et ce type, c'est Bénédet. Dans le même genre, un jour se pointe un mec pour faire un essai. Il arrive avec ses chaussures dans un sac en plastique "Mammouth". Il fait son essai et on le garde : c'était Martin N'Kouka. Sans oublier Boubacar Sarr qui venait du Mourillon à l'entraînement en solex.


UN MATCH EN PARTICULIER ?

Il y a deux matchs qui m'ont marqué. Celui de Monaco. On était que des jeunes Toulonnais, le plus vieux devait avoir 25 ans et on bat la grande équipe de Monaco là-bas. Ça a coûté la place à leur entraineur, Lucien Leduc. Et puis le match retour de coupe à Bon Rencontre contre Lens. Je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie dans notre stade pour notre public. C'était archi-plein. Il y avait des gens de partout. Sur le toit des tribunes, sur les tôles du tunnel, sur les pylônes. Je crois que Bon Rencontre pouvait accueillir 12 000, je crois qu'ils devaient être 17 000. C'était la folie.


EN QUELQUES MOTS, SI TU DEVAIS RÉSUMER TON AVENTURE TOULONNAISE:

Il y a une saison où l'on aurait dû monter. On a été champion d'automne et pendant les matchs retour, on a trop fait de matchs nul alors que Monaco en a beaucoup gagné. On était treize ou quatorze pros. Il nous a manqués du budget pour recruter un peu, pour souffler et marquer un peu plus.

Mais si j'ai eu des propositions pour partir à Bastia, Reims, le Psg ou Lens, je suis resté à Toulon. Quand je suis arrivé ici, j'étais seul, sans personne. Ma mère était morte quand j'avais onze ans et mon père m'avait abandonné. Je me suis construit des amitiés au sporting et j'habitais dans le quartier populaire de Saint-Jean-du-Var et je me suis lié d'amitié avec d'autres personnes hors football. J'étais bien ici. Je suis resté. J'adorais la mentalité de Toulon, des supporters. Ils me faisaient penser à ceux de Rosario, de Boca Junior. Je vais te dire, quand je faisais le marché au pont du Las les lendemains de défaite, j'avais honte. Je baissais la tête. En fait, ces gens-là nous aimaient parce qu'on mouillait le maillot.


QUE DEVIENS-TU ?

J'ai eu trois enfants. Un fils, une fille de 45 ans et la dernière de 31 ans. J'ai huit petits-enfants, dont un qui ne marche pas trop mal au rugby. Il a été deux fois champion de France Crabos avec le RCT et maintenant, il est à Agen. Ils ont de 21 ans à sept mois. Ça occupe !

Et aussi, je fais du vélo. Entre six et 700 kilomètres par semaine.


ERIC ET LE SPORTING :

Défenseur.

1971/1972:  1 match.

1972/1973:  / 

1973/1974:  / 

1974/1975: 15 matchs.

1975/1976: 29 matchs.

1976/1977: 33 matchs. 1 but.

1977/1978: 31 matchs.

1978/1979: 17 matchs.

1979/1980: 27 matchs. 6 buts.

1980/1981: 24 matchs. 1 but.

1981/1982: 24 matchs.